Dans cette interview, Arnaud de Courcelles, Directeur Général de BFM Business, décrypte l’impact de l’IA générative sur le journalisme et la production de contenu. Il partage sa vision sur l’évolution des médias français face à ces nouvelles technologies et insiste sur la nécessité d’un cadre rigoureux pour garantir la fiabilité de l’information. Il évoque également les tendances actuelles de la consommation médiatique et le positionnement de BFM Business dans un écosystème en pleine mutation.
En quoi l’IA générative redéfinit-elle le métier de journaliste et les modes de production de contenu ? Selon vous, les médias français sont-ils bien préparés pour intégrer l’IA générative ?
L’intelligence artificielle générative est un élément décisif pour l’avenir des médias. Dans l’ensemble, les médias français abordent cette évolution de manière pertinente. L’IA ne va pas demain remplacer les journalistes ou produire l’intégralité des contenus, elle doit plutôt être envisagée comme un outil au service du journalisme, qui facilite et enrichit le travail des rédactions. C’est dans cet esprit que nous allons l’intégrer au sein de RMC BFM dès cette année dans nos pratiques. Grâce aux investissements significatifs de notre maison mère dans le domaine de l’IA, notamment via des ressources internes, nous avons l’opportunité de collaborer étroitement ensemble. Actuellement, l’ensemble des équipes de BFM Business (100% des collaborateurs, pas uniquement les journalistes) est en formation sur un outil de type ChatGPT développé en interne par CMA CGM. Conçu en France, cet outil nous permet de conserver la maîtrise des données et des informations, sans aucune sortie de contenus à l’externe, ce qui apporte une garantie en matière de sécurité et de fiabilité pour les journalistes.
L’IA peut également jouer un rôle clé dans l’automatisation de certaines tâches chronophages et complexes. Elle peut contribuer à la lutte contre la désinformation en facilitant l’analyse des sources et le fact-checking. Enfin, elle permet d’affiner la personnalisation des contenus en fonction des besoins et des attentes du public, en adaptant les sujets et les angles éditoriaux. L’IA créera de nouveaux postes, notamment des spécialistes de l’analyse des données, des experts en prompting ou encore des créateurs de chatbots éditoriaux. Son potentiel est immense, mais son intégration doit s’opérer dans un cadre rigoureux et contrôlé qui garantit la fiabilité des contenus et le respect des réglementations en vigueur.
Craignez-vous que l’automatisation via l’IA générative puisse affecter la qualité ou l’authenticité des informations diffusées ?
Si une information n’est ni validée ni relue par un journaliste, il y a effectivement un risque. Toutefois, ce n’est pas un sujet d’inquiétude chez nous, car une validation humaine reste systématique. Au sein du groupe RMC BFM, l’IA est également encadrée par une charte pour réguler son utilisation. L’IA peut enrichir le contenu, mais sa vérification et son approbation par un journaliste sont indispensables. Les mêmes craintes entouraient déjà l’essor d’Internet, notamment sur la fiabilité des informations diffusées en ligne. Ces préoccupations initiales ont conduit à l’établissement de pratiques rigoureuses pour assurer la véracité des informations en ligne. Aujourd’hui, avec l’émergence de l’IA générative, le défi est similaire. Plutôt que de subir ces évolutions, il faut adopter une approche structurée, avec des règles claires sur son utilisation.
L’IA peut enrichir le travail journalistique, mais elle ne peut pas se substituer à l’expertise humaine. La validation par des journalistes reste indispensable pour assurer la crédibilité et la fiabilité des contenus. Dans quelques années, lorsque l’IA sera plus avancée et alimentée par des données plus solides, la question de l’autonomie de l’IA se posera différemment. Mais pour l’instant, elle ne remplace pas les journalistes. Nous n’en sommes pas encore là. Dans le groupe RMC BFM, tout contenu généré avec l’aide de l’IA devra être validé par les rédacteurs en chef avant publication. De même dans un objectif de transparence, tous les contenus générés avec l’aide de l’IA comporteront une mention à l’oral ou à l’écrit l’indiquant au public.
Avec l’explosion des abonnements numériques, les Français sont-ils prêts à payer pour un accès à des contenus de qualité ?
Les Français recherchent avant tout des contenus de qualité, mais l’enjeu reste de proposer des contenus de qualité qui restent gratuits. Les consommateurs sont en revanche prêts à payer pour des formats exclusifs, des enquêtes approfondies ou du contenu premium. Ce phénomène est particulièrement visible dans le domaine du sport et des médias spécialisés, où les abonnements rencontrent un vrai succès. Dans la presse écrite, cette tendance s’est renforcée ces dernières années, portée notamment par Le Monde, qui a su valoriser des contenus payants à forte valeur ajoutée. De nombreux médias ont suivi cette voie, tandis que d’autres explorent encore ces modèles, conscients de la volonté des lecteurs d’aller plus loin, au-delà des sources traditionnelles.
L’univers BFM est 100% gratuit que ce soit en télévision, en radio ou sur le digital. Nous menons des réflexions sur l’évolution de ce modèle, mais nos audiences sont habituées à cette gratuité, ce qui rendrait une transition vers un modèle payant délicate. Cette question prend une nouvelle dimension avec l’arrivée de La Tribune au sein du groupe CMA CGM, et ouvre la voie à de possibles partenariats ou synergies éditoriales.
L’acquisition d’Altice par CMA CGM marque une nouvelle dynamique dans le paysage médiatique français. Quels impacts ce rapprochement pourrait-il avoir sur l’écosystème des médias en France ? Quelles synergies peuvent émerger entre les différentes plateformes du groupe ?
L’acquisition d’Altice par CMA CGM s’inscrit dans une dynamique plus large de diversification des investissements du groupe dans l’univers des médias. Déjà fortement implanté dans la presse régionale avec le rachat de La Provence et Corse Matin, CMA CGM s’engage dans un secteur en pleine mutation, où la presse écrite fait face à d’importants défis économiques.
Dans cette logique d’expansion, le groupe a récemment élargi son champ d’action à la télévision avec la poursuite des investissements dans les 9 chaînes BFM Locales d’info de proximité et au digital, comme en témoigne sa participation dans Brut. Ce mouvement vers un écosystème plus intégré ouvre la voie à des synergies entre différents médias – presse écrite, radio, télévision, digital et réseaux sociaux. L’idée est de pouvoir amplifier l’audience en connectant ces différentes plateformes et en mutualisant certaines expertises. Chaque marque a une identité forte individuellement, mais collectivement, elles peuvent bénéficier d’une visibilité accrue et d’un effet de levier plus important.
Enfin, ces investissements offrent aux médias concernés de nouvelles perspectives en matière d’innovation. Que ce soit par l’intégration de l’intelligence artificielle dans la production et la diffusion des contenus ou par l’adaptation aux nouveaux formats numériques, le soutien financier du groupe leur donne les moyens d’accélérer leur transformation et de se positionner sur les évolutions majeures du secteur.
Quelles grandes tendances observez-vous dans la manière dont les Français consomment les médias aujourd’hui (TV, presse, réseaux sociaux) ? Quel est le rôle des médias traditionnels dans ces transformations ?
Les médias traditionnels résistent bien, et les chiffres le prouvent. BFMTV touche chaque jour plus de 13 millions de Français, et les journaux de 20h de TF1 et France 2 continuent d’enregistrer des audiences impressionnantes.
On parle beaucoup du digital, notamment parce que les nouvelles générations vont chercher l’information sur les réseaux sociaux et les plateformes en ligne. C’est un enjeu majeur pour les médias de se positionner efficacement sur ces nouveaux canaux. Mais en parallèle, la télévision linéaire reste très ancrée : les Français regardent encore massivement des documentaires et des journaux télévisés, et ont souvent le réflexe de s’informer via la télévision avant de se tourner vers les réseaux sociaux.
Notre objectif est de rassembler tous nos contenus journalistiques fiables et sourcés autour d’une même plateforme info BFM afin d’offrir au public un maximum de formats : émissions, chroniques, articles, vidéos, documentaires, enquêtes et podcasts sur des thématiques extrêmement variées.
L’information en linéaire est donc solide, elle tient bon, mais il est essentiel d’être tout aussi performant sur le digital. Il faut continuer à se développer sur ces nouveaux formats, sans renier l’ADN des médias traditionnels : produire des contenus qualitatifs et crédibles, qui restent une référence pour le public.
Arnaud de Courcelles est membre du Jury du Grand Prix des Favor’i E-commerce 2025. Le Prix du Jury est une distinction qui se divise en 3 catégories : le Prix RSE, le Prix de l’Innovation et le Prix Espoir. Chaque année, cette récompense est décernée par le Grand Jury qui rassemble des professionnels reconnus du secteur, experts et passionnés de e-commerce. Rendez-vous le 6 mars 2025, en direct sur BFM Business, pour la cérémonie de cette 18ème édition.